Tibayrenc, M. 2020. Coronavirus. Magazine ‘’décideurs’’.
Michel Tibayrenc est directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier. Il milite pour la création d'une agence sanitaire européenne pour mieux affronter les périls infectieux à venir, car, explique-t-il, la présente alerte n’est certainement pas la dernière. Tribune.
La présente épidémie du Covid-19 est un défi gigantesque pour les autorités politiques et sanitaires du monde entier. Celles de notre pays ont pris des mesures qui s’imposaient pour contenir la propagation du virus. Les chercheurs français et leurs collègues étrangers se sont attelés à la tâche pour trouver remèdes et vaccin dans les plus brefs délais. De plus, des actions ont été instiguées pour mieux coordonner les politiques de lutte au niveau européen.
Cependant, force est de constater la disparité et le décalage des mesures prises entre différents pays au sein de l’UE et au niveau mondial, qui aboutissent à une regrettable cacophonie, source d’inefficacité. Il est inattendu que les pays de l’UE aient accepté d’abandonner leur souveraineté dans un domaine qui en est le symbole même – la monnaie –, mais veulent la garder tout entière pour la santé publique, alors qu’en ce qui concerne les maladies transmissibles, une coordination internationale étroite serait spécialement urgente. On peut légitimement se demander si une structure sanitaire centralisée forte n’aurait pas été à même de faire face à ce défi majeur qu’est le Covid-19 d’une manière plus coordonnée.
"Force est de constater la disparité et le décalage des mesures prises entre différents pays au sein de l’UE et au niveau mondial, qui aboutissent à une regrettable cacophonie, source d’inefficacité"
Dans cette optique, j’ai proposé en 1997 la création d’un « Center for Disease Control » européen inspiré des Centers for Disease Control (CDC) d’Atlanta, où j’ai travaillé un an. Comme son homologue américain, l’« Euro-CDC » (ECDC) aurait eu une dimension critique importante et aurait eu trois fonctions complémentaires et coordonnées : recherche de pointe multidisciplinaire, contrôle des maladies, et enseignement professionnalisant, ce dernier dirigé en particulier vers les pays du sud, là où les maladies infectieuses entraînent le plus de ravages.
L’ECDC aurait eu également des équipes mobiles d’experts – « task forces » – capables d’intervenir en urgence sur le terrain, là où les épidémies menacent.
En matière de recherche, des solutions fiables ne peuvent pas venir que d’une seule, ou d’un petit nombre de discipline(s). Face à la pandémie Covid-19, beaucoup de chercheurs ont trop tendance à présenter leur propre spécialité (écologie, évolution, climatologie, par exemple) comme la solution ultime. Une telle attitude n’est pas pertinente. La pandémie Covid-19 est multifactorielle. Il faut lui opposer une collaboration et une osmose étroites entre de nombreuses spécialités scientifiques : recherche fondamentale, appliquée, industrielle ; recherche de terrain et de laboratoire ; théorique et expérimentale ; sciences « dures » et sciences humaines. Ceci ne se fait pour l’instant nulle part. L’ECDC pourrait être une opportunité unique d’initier une telle recherche multidisciplinaire en un même lieu.
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